Demande conjointe contre Le Renoir, Société en commandite

Le 12 août 2021, Marie-Laure Légaré déposait au Tribunal administratif du logement (TAL) une demande conjointe visant la diminution de son loyer et du loyer des autres locataires qu’elle représente à titre de mandataire, en raison du défaut du locateur Le Renoir, Société en commandite, de fournir les services inclus à la Partie 1 de l’Annexe 6 de leurs baux respectifs à compter du 1er avril 2020 en raison de la pandémie.

Le Renoir est l’une des 1750 résidences privées pour aînés (RPA) au Québec, dont la plupart font partie du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA).

Dans leur demande, les locataires réclament une diminution de loyer de 250 $/mois au motif qu’ils n’ont pas reçu les services payés conformément à leur bail: piscine, salle de billard, salle de quilles, salles communautaires, salles de gym, salle de casse-têtes, salon des arts, salles à manger principales, Grill V.I.P., atriums (phase 1 et 2), salle de cinéma, bibliothèque, salon internet, studio des arts, jardins, chapelle, services de navette et d’autopartage. En plus de l’interruption des services, des activités hebdomadaires du service des loisirs de leur RPA ont été annulées ou modifiées.

En janvier 2022, Le Renoir, Société en commandite a répondu qu’elle avait respecté les mesures sanitaires ordonnées par le gouvernement dès le 14 mars 2020 et que, pour respecter toutes les mesures, elle «a été contrainte d’interdire ou de restreindre l’accès à certains espaces communs et d’adapter ses services». Sa défense repose aussi sur l’argument qu’elle s’est acquittée de ses obligations, ne s’est pas enrichie et a mis à la disposition des résidents de nouvelles activités et ajouté des services. Ces services additionnels entraînaient des frais supplémentaires qui n’auraient pas été facturés aux résidents, en plus d’«efforts gargantuesques déployés par le personnel pour mettre en œuvre d’innombrables mesures de prévention et de contrôle des infections».

Le locateur a aussi soulevé l’argument de l’«immunité de poursuite» en alléguant être sous le couvert de cette protection énoncée à l’article 123 de la Loi sur la santé publique, à titre de personne qui accomplit un acte de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution des pouvoirs exceptionnels énoncés à cet article.

En juillet 2022, l’exploitant de la Société en commandite a ajouté un élément de plus à son argumentaire écrit sur l’immunité. Il fait désormais référence aux débats soulevés en Commission sur la santé et les services sociaux qui s’est tenue en mai 2022 et portant sur l’étude détaillée de la Loi visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juin 2022. Lors des débats, le ministre Dubé s’est fait poser une question provenant d’une lettre du RQRA qui avait au préalable déposé un mémoire. Le Regroupement se demandait «si le gestionnaire d’un CHSLD privé pouvait être poursuivi pour avoir appliqué les décrets gouvernementaux, alors qu’un gestionnaire d’un CHSLD public, ayant agi de la même façon, soit lui protégé de poursuites». Le RQRA souhaitait une interprétation large et non restrictive de la notion d’immunité à l’égard des gestionnaires des RPA (privées) quant à leur responsabilité civile ou pénale. La réponse du ministre a été sans équivoque: le même régime s’applique aux résidences publiques et privées.

La Société en commandite soutient que cette réponse du ministre sert à son argument sur l’immunité de l’exploitant d’une RPA. Elle suggère une interprétation large et libérale de la Loi sur la santé publique qui permettrait de qualifier une RPA de «toute autre personne» à l’abri des poursuites, avec comme objectif de faire rejeter la demande conjointe en diminution de loyer.

Or, ni la question posée au ministre ni sa réponse ne permettent à la Société en commandite de prétendre que la demande conjointe est vouée à l’échec. Au risque de me répéter, Le Renoir est à l’abri de poursuites civiles ou pénales du fait que la RPA a respecté les mesures sanitaires. Toutefois, elle n’est pas à l’abri de l’application des lois et obligations découlant du contrat de louage conclu avec chaque résident. La protection contre les poursuites civiles de la Loi sur la santé publique ne la soustrait pas de ses devoirs en matière de contrat de bail. Les arguments d’interprétation des lois qu’elle invoque dans sa défense: santé publique, immunité, principe d’interprétation des lois, immunité relative de droit public, aussi nombreuses soient-elles, continuent d’être voués à l’échec. L’intention du législateur a toujours été claire: éviter que les personnes morales, publiques ou privées, n’aient à se défendre contre des poursuites civiles ou pénales alors qu’elles ont respecté les décrets, mesures sanitaires et directives ministérielles adoptés et mis en œuvre dans un contexte d’urgence sanitaire décrété vu la nécessité de protéger la santé collective au Québec. Considérer que l’immunité énoncée à la Loi sur la santé publique retire à la RPA ses obligations comme locateur et co-contractant, voilà un pas que le Tribunal du logement ne devra pas franchir.

La partie se jouera pendant deux jours et demi, à compter du 15 septembre. Devant le TAL, l’exploitant exposera les faits et ses arguments. Il connaît le détail des coûts des activités, des services, avant et après le 13 mars 2020, ainsi que l’utilisation faite de la subvention gouvernementale reçue. Il est prêt à procéder pour ce qui sera un débat qui donnera le ton aux litiges subséquents puisque près de trente demandes conjointes sont inscrites au TAL. Le regroupement des locataires du Renoir se présentera sans avocat. Il devra être prêt dans ce débat où il y a déséquilibre des forces, en apparence seulement. C’est à suivre!