Droit à une défense

Certains litiges devant les tribunaux mettent en jeu les droits fondamentaux d’une personne. En pareil cas, la représentation par avocat semble appropriée. Or, une personne est généralement libre de choisir d’être représentée ou non devant un tribunal. La loi prévoit néanmoins que dans les procédures contentieuses ou non contentieuses concernant l’intégrité, l’état ou la capacité d’une personne, le tribunal peut ordonner la représentation d’une personne par un avocat lorsqu’il «la considère nécessaire pour assurer la sauvegarde des droits et des intérêts d’un mineur ou d’un majeur non représenté par un tuteur ou un mandataire et s’il l’estime inapte [i]

Dans les cas de procédures non contentieuses, le tribunal doit «agir dans l’intérêt premier de la personne», «tout en veillant au respect de ses droits et à la sauvegarde de son autonomie, en tenant compte de ses volontés et préférences [ii]

La représentation devant les tribunaux dans des procédures concernant l’intégrité, l’état ou la capacité de personnes majeures se situe au cœur de ma pratique. Je m’attarderai ici aux précisions apportées par l’arrêt de la Cour d’appel pour déterminer dans quelles circonstances une ordonnance désignant un avocat devrait être émise.

Capacité et intégrité

D’entrée de jeu, il faut rappeler qu’en droit québécois toute personne est titulaire du droit à l’intégrité. En conséquence, toute procédure pouvant porter atteinte à l’intégrité d’une personne nécessite l’obtention du consentement de celle-ci pour être exécutée. De plus, toute personne est présumée apte à exercer pleinement ses droits civils, sauf exception prévue par la loi. Cette présomption de capacité jusqu’à preuve du contraire prévaut en droit québécois.

Il n’existe donc pas de présomption d’inaptitude basée sur un simple rapport médical (ce qui prévalait avant la réforme du droit des personnes en 1989). Il n’existe pas non plus de présomption d’inaptitude fondée sur un diagnostic médical de troubles neurocognitifs, ou encore sur un comportement ou l’expression d’une volonté.

Le fait d’être visée par une demande judiciaire mettant en doute la capacité d’une personne à prendre des décisions ne permet pas de conclure à son inaptitude en ce sens et encore moins pour exercer ses droits civils. Une demande judiciaire d’hébergement (une contrainte à l’intégrité) alléguant l’inaptitude de la personne à y consentir face au refus qu’elle exprime ne permet pas de conclure que la personne est inapte.

Droit à la représentation

Toute demande pouvant avoir une incidence sur la capacité décisionnelle ou l’intégrité d’une personne doit être remise en mains propres à la personne en faisant l’objet. Le tribunal qui est saisi d’une telle demande doit donner l’occasion à cette personne d’être entendue. Comme ces demandes portent atteinte à ce qui est fondamental pour une personne, soit l’exercice de ses droits civils, et que les conséquences sont majeures pour elle, les tribunaux accordent généralement une très grande importance aux litiges où la personne n’est pas représentée.

Bien entendu, il arrive que des personnes visées par de telles demandes refusent d’être représentées par avocat. Les raisons varient : la représentation par avocat n’est pas nécessaire; la personne n’a pas les moyens de payer les honoraires de l’avocat, elle ne fait pas confiance au système judiciaire ou s’en méfie, soit en raison d’une mauvaise expérience passée, soit qu’elle estime la cause perdue à l’avance, etc.

Or, vu l’importance et la gravité que constitue un jugement ordonnant des soins contre le gré d’une personne, il est primordial de s’assurer que l’audience respecte les principes de l’équité procédurale afin que la personne visée puisse véritablement être entendue et puisse faire valoir ses droits. [iii]», comme l’écrivait la Cour d’appel dans un arrêt du 1er septembre 2022. Voici ce qui en ressort.

Représentation des personnes par ordonnance du tribunal

La démarche pour le tribunal consiste à évaluer la situation en deux étapes :

(1) si la personne paraît inapte, puis

(2) si sa représentation est nécessaire pour assurer la sauvegarde de ses droits et intérêts.

La Cour d’appel a précisé les principes et déterminé quelles sont les conditions à l’émission d’une ordonnance pour désigner un avocat :

  • Il ne faut pas confondre l’aptitude de consentir aux soins avec l’aptitude générale et ainsi écarter la présomption de capacité selon laquelle toute personne est apte à exercer pleinement ses droits civils sur une simple preuve liée aux soins.
  • La question de l’aptitude à choisir de mandater ou non un avocat ou de représenter soi-même ses intérêts devant les instances judiciaires répond à une démonstration distincte.
  • L’article 90 p.c. confère une discrétion judiciaire qu’il faut se garder de transformer en un automatisme.
  • Les tribunaux doivent suivre un processus «structuré et rigoureux».
  • Le tribunal doit s’assurer que la personne visée par une demande de soins puisse véritablement être entendue et faire valoir ses droits.
  • Une audience ne peut et ne doit pas être une pure formalité.
  • Le juge a un rôle primordial afin de s’assurer que ce droit est respecté.
  • Le juge peut poser des questions aux différents témoins, notamment les témoins experts.
  • Le juge doit s’assurer que l’audience respecte les principes de l’équité procédurale.
  • Le juge pourra s’assurer que le plan de traitement et les conditions proposés sont bénéfiques et correspondent à la situation, aux intérêts et aux besoins spécifiques de la personne soignée et sont le moins attentatoires possible aux droits et libertés de celle-ci.
  • Si la personne visée n’a pas d’avocat, le juge devra en nommer un d’office.
  • Ce principe ne pourra être écarté qu’après que des démarches aient été faites pour proposer à la personne visée la présence d’un avocat et à la suite d’une fine pondération des enjeux, des circonstances de l’espèce et d’une décision spécifiquement motivée par le juge [iv].

Les ordonnances à désigner un avocat ne sont pas rares. Elles sont généralement motivées. La Cour d’appel vient donc d’énoncer les étapes et les conditions à respecter. Fondamentalement, les tribunaux visent à assurer une audience juste et équitable aux personnes dont l’aptitude à consentir aux soins, ou à prendre des décisions est mise en doute au point d’atteindre leurs droits primordiaux.

La présomption d’aptitude prend racine dans le respect de la dignité et de l’autonomie de la personne, et elle est comprise dans les principes de justice fondamentale. Cette présomption n’est pas absolue. Elle peut être renversée. Du reste, la notion d’aptitude prend plusieurs formes (prendre des décisions au quotidien, signer un contrat, consentir à des soins, changer un testament, etc.). La Cour d’appel la définit comme «l’habileté minimale requise, qui peut varier en fonction de l’acte, pour saisir la portée ou la signification de ses gestes ou décisions[v]

La représentation par avocat est au cœur du droit à une audience juste et équitable. « Il est bien établi que la teneur des exigences liées à l’équité procédurale varie en fonction de l’importance des conséquences de la décision sur les droits de la personne [vi]. » Comme l’énonçait la juge McLaughlin de la Cour suprême du Canada, en 1999:

86 […] le droit à une audience équitable ne nécessitera pas toujours qu’une personne soit représentée par un avocat lorsque la décision porte sur son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. En particulier, il n’est pas toujours nécessaire qu’un parent soit représenté par avocat pour garantir l’équité d’une audience relative à la garde. L’importance et la complexité de l’audience ainsi que les capacités du parent varient d’une affaire à l’autre. La nécessité de la représentation du parent par avocat est directement proportionnelle à l’importance et à la complexité de l’instance et inversement proportionnelle aux capacités du parent [vii].

Une audience ne sera pas équitable si la personne ne peut pas y participer activement [viii]. Une personne faisant l’objet d’une procédure visant à la contraindre à l’hébergement ou à des soins médicaux, ou à être représentée par un mandataire pour sa protection doit pouvoir participer à l’audition de manière significative. Cette participation en matière d’ordonnances de soins est primordiale notamment puisque la conséquence de l’ordonnance la privera de sa liberté.

Utilité de la représentation

La représentation par avocat en matière d’ordonnances de soins est très souvent utile. Il revient au tribunal de décider s’il l’ordonne après être convaincu que la personne est inapte et avoir conclu que la représentation est nécessaire. Lorsque la personne peut se défendre avec l’assistance d’une personne proche, tel un membre de sa famille, le tribunal n’émettra généralement pas une ordonnance nommant un avocat pour la représenter bien qu’il l’estime inapte.

Au sujet de l’utilité, à titre d’exemple, au cours des deux derniers mois, la Cour supérieure a rejeté dans trois différentes instances les demandes des établissements de santé visant un hébergement forcé. Les jugements étaient tous écrits et motivés. Dans le premier cas, la preuve au soutien de l’inaptitude de la personne était incomplète ou insatisfaisante; dans le deuxième, la personne consentait à l’hébergement, ne refusait pas catégoriquement et comprenait la demande; dans le dernier cas, la personne comprenait la demande et, de toute façon, la demande de transfert à une unité spécifique n’aurait pas été dans son intérêt. [ix]

Dans chacune de ces instances, la personne concernée était représentée. Un délai raisonnable avait été obtenu pour permettre à la personne de préparer sa défense. Dans aucun des cas, la personne concernée n’a eu recours à une contre-expertise. Cette représentation par avocat a permis de démontrer que des éléments importants et essentiels étaient lacunaires dans la preuve de la demande.

Difficultés de la nomination ordonnée par le tribunal

Un tribunal peut donc imposer un avocat à une personne qui refuse d’être représentée s’il est convaincu qu’elle est inapte et s’il considère cette représentation nécessaire. Cette situation suscite évidemment des questions. Comment représenter un client qui refuse de l’être? Comment concilier le devoir et les obligations de l’avocat avec les intérêts de son client en pareilles circonstances? Confrontés à une telle situation, les tribunaux ont parfois recours à la nomination d’un avocat à titre d’«ami de la cour» (amicus curiae). Cet «ami de la cour» peut alors questionner les témoins de la demande et faire des représentations eu égard aux droits fondamentaux de la défense.

Des situations inusitées peuvent survenir. Ainsi, je me souviens avoir été nommée par ordonnance, il y a vingt ans, pour représenter un détenu à Sainte-Anne-des-Plaines. Celui-ci refusait catégoriquement les soins psychiatriques. Sa violence physique était contrôlée par la présence des gardiens, mais sa violence verbale était bien présente. Il n’avait aucune confiance envers le système judiciaire et refusait toute assistance. Bien qu’exceptionnelle, cette situation révèle les difficultés auxquelles les avocats peuvent parfois être confrontés dans le cadre de ce type d’ordonnance.

Conclusion

La Cour d’appel a rendu un arrêt qui convie les tribunaux à un exercice rigoureux avec comme seul guide l’intérêt de la personne visée. Pour les avocats qui représentent les personnes visées par les demandes donnant ouverture à la désignation d’un avocat, l’objectif est inscrit dans la loi : la sauvegarde des droits et des intérêts du majeur. Il incombe à l’avocat désigné d’assumer cette tâche avec sérieux et humilité.


[i] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 art. 90.

[ii] Ibid., art. 305.

[iii] A.N. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, 2022 QCCA 1167, par. 30-31.

[iv] Ibid., par. 30-31.

[v] Ibid., par. 44.

[vi] Ibid., par. 54.

[vii] Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), 1999 CanLII 653 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 86.

[viii] A.N. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, op. cit., par. 55.

[ix] Voir les histoires de cour publiées sur notre site web sous les noms fictifs de Éléonore, Clint et Sofia.