Le 2 novembre 2022, le Tribunal administratif a accueilli une première demande conjointe des locataires qui réclamaient une diminution de loyer en raison des coupures de services depuis la déclaration de l’état d’urgence au Québec [1]. Cette décision qui n’a pas encore été portée en appel est importante à plusieurs égards.

Demandes conjointes

La demande était logée dans le cadre des modifications législatives adoptées en novembre 2020. Ces changements sont entrés en vigueur en mars 2021. Ils permettent à deux locataires ou plus, d’une même résidence privée pour aînés (RPA) certifiée, de s’adresser au Tribunal administratif du logement (TAL), ensemble, dans le cadre d’une seule et même demande. Les locataires réunis et signataires de la demande conjointe étaient représentés par Marie-Laure Légaré à titre de mandataire.

La majorité des locataires demandaient une diminution de loyer mensuelle de 250$ pour les mois d’avril 2020 à juin 2020, pour ceux d’octobre 2020 à avril 2021, ainsi que pour les mois de décembre 2021 à février 2022. Ils recherchaient aussi une diminution de loyer mensuelle de 125$ pour les mois de mars 2020, ainsi que pour juillet à septembre 2020 et mai 2021 à novembre 2021.

La demande s’appuyait sur les mesures sanitaires imposées par le Gouvernement qui avait décrété l’état d’urgence sanitaire le 13 mars 2020. Ces mesures ont entrainé la fermeture de certains lieux, des restrictions d’accès, l’interdiction d’opération de certains services non essentiels, notamment, ainsi que la mise en place de mesures spécifiques aux RPA. Ces «différentes mesures ont eu pour conséquences de restreindre totalement ou partiellement les locataires dans l’utilisation, la disponibilité ou l’accès à certains services ou lieux inclus à leurs baux entre les mois de mars 2020 et février 2022.» [2]

Bien que le Tribunal ait accueilli en partie la demande conjointe, les locataires peuvent être fiers d’avoir obtenu une décision favorable à leur point de vue sur l’interprétation d’un article de loi. L’exploitant de la RPA soulevait le dernier alinéa de l’article 123 de la Loi sur la santé publique (LSP) qui édicte que «Le gouvernement, le ministre ou toute autre personne ne peut être poursuivi en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution de ces pouvoirs.» Selon l’exploitant, soutenu par le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRPA), l’expression «toute autre personne» incluait nécessairement les résidences privées pour aînés. L’exploitant prétendait aussi que les mots utilisés par le ministre de la Santé, dans les débats entourant l’adoption de la Loi mettant fin à l’état d’urgence sanitaire sanctionnée le 2 juin 2022, étaient différents de ceux de la LSP afin d’appuyer son argument portant sur l’immunité. Le Tribunal a rejeté cette prétention: «les commentaires du Ministre ne peuvent lier le Tribunal et les commentaires sont faits près de 20 ans suivant l’adoption de la LSP. [3]» Comme il fallait s’y attendre, le Tribunal a conclu que «le locateur ne bénéficie pas de l’immunité de poursuite prévue à l’article 123 de la Loi sur la santé publique. [4]»

Exercice des droits

Cette décision est importante tout d’abord parce qu’elle donne raison à des locataires aînés qui se sont prévalus de l’exercice d’un droit nouveau: la demande conjointe au TAL. Avant mars 2021, les résidents de RPA se privaient souvent de formuler une demande de diminution ou de contester une demande d’augmentation de loyer par crainte de représailles, de comportements malicieux de la direction, de perte de leur logement, de frais engagés sans chances raisonnables de succès ou de faire face à une opposition solide. Les modifications ont ainsi octroyé aux aînés des droits qui leur sont spécifiques en matière de logement. Le législateur a reconnu encore une fois que cet ajout à la loi était nécessaire et utile pour cette clientèle dans un esprit de respect du droit au maintien de leur logement.

Immunité de poursuite

La décision marque aussi un pas important dans l’interprétation d’une disposition législative sur laquelle s’appuient les exploitants de RPA depuis l’été 2021. Ceux-ci ne se gênaient pas pour dire à leurs résidents qu’ils avaient «l’immunité» et que les locataires ne pouvaient pas en conséquence leur réclamer une diminution de loyer. Leur position se basait sur un avis juridique du RQRPA. Cette prétention avait d’ailleurs eu pour effet de décourager les résidents de RPA qui pouvaient envisager une demande en diminution de loyer; ils se disaient vaincus d’avance.

Le Tribunal analyse cet argument de manière attentive puisqu’il s’agit de la toute première interprétation du dernier alinéa de l’article 123 de la LSP par un tribunal du Québec [5]. Il se livre à une étude poussée et complète en se basant notamment sur les enseignements de la Cour suprême du Canada [6]:

«Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l’analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [TRADUCTION] “le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes” [note omise][souligné du Tribunal]»

Le Tribunal applique une règle d’interprétation simple et connue, soit de «lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. [7]» L’exposé des articles de la LSP permet au Tribunal de conclure que «les personnes investies de l’immunité sont celles qui établissent et celles qui ont autorité pour faire respecter les normes établies et édictées en vertu de l’article 123 LSP, qui ont un lien de préposition avec le Gouvernement ou le Ministre. [8]» Par conséquent, «seul le Gouvernement, le Ministre ou toute autre personne qui exerce ou exécute des pouvoirs de nature législative décrits au premier alinéa dans une situation d’urgence sanitaire, ne peuvent être poursuivis en justice. [9]»

Les exploitants des RPA sont des citoyens qui doivent respecter la loi, de l’avis du Tribunal: «Par l’article 123 LSP, le législateur n’a certainement pas voulu faire bénéficier les citoyens d’une dérogation de droit commun qui leur permettrait d’être dispensés de certaines obligations ou d’être déchargés des conséquences légales de leurs actes au motif qu’ils ont agi de bonne foi. [10]»

L’analyse du Tribunal est complète, claire et solide. Elle devrait mettre un terme à l’argumentaire erroné des exploitants de RPA. Si ceux-ci devaient demander l’autorisation d’en appeler de la décision du juge Morisset, en prétendant qu’elle est mal fondée sur ce point, cela serait à notre avis audacieux et déraisonnable. Les locataires attendent depuis des mois une diminution de leur loyer. Retarder cette diminution par un appel de la décision entrainerait des inconvénients et de l’anxiété supplémentaires. Ils peuvent craindre que la décision soit portée en appel tout en se rappelant que les chances de réussite de l’exploitant et du RQRPA seront bien minces.

À ce jour, ce sont plus de 33 demandes conjointes qui sont devant le TAL. Le degré d’avancement de chaque demande varie en fonction de la date du dépôt de la demande conjointe, des conférences de gestion qui ont eu lieu et des conclusions de celles-ci. Il faut souhaiter que les demandes pendantes puissent procéder avec diligence, car il en va de l’intérêt des résidents qui ont déposé leur demande conjointe il y a plus d’une année pour certains.

La décision du TAL du 2 novembre 2022 aura une incidence sur les demandes conjointes qui sont pendantes devant le TAL. Elle devra être prise en considération. Si la décision est portée en appel, ceci aura pour effet de retarder la progression de toutes les demandes conjointes.

Locataires inclus dans la demande conjointe

Le locateur tentait aussi d’exclure les locataires n’ayant pas eu un bail continu pour les mois d’avril 2020 à février 2022. Le Tribunal a rejeté cette prétention: «Il paraît déraisonnable aux yeux du Tribunal de rejeter un recours d’un locataire demandeur qui a signé la demande conjointe au seul motif qu’il n’ait pas eu un bail continu entre la période du 13 mars 2020 et le 28 février 2022. Ce seul fait ne peut justifier l’irrecevabilité ou le rejet du fond de son recours. [11]» Il a aussi rejeté l’argument du locateur qui refusait d’inclure dans la demande conjointe les locataires ayant conclu un bail après la déclaration de l’état d’urgence [12].

En s’y attardant, on peut vraiment se questionner sur l’intention de l’exploitant et du RQRPA d’entretenir des relations harmonieuses avec ses résidents. On peut douter aussi qu’ils recherchent leur bien-être. Il paraît plutôt clair que tout est une question d’argent et que le RQRPA vise à tout prix à éviter à ses membres de rembourser des sommes aux résidents des RPA. Pourtant, il faut rappeler que ceux-ci ont continué de payer leurs loyers malgré les interruptions, suspensions et coupures de services. Force est d’admettre que les locataires ont eu raison de s’adresser aux tribunaux pour résoudre le litige.

Diminution de loyer

Enfin, le Tribunal a apprécié et déterminé la diminution de loyer à accorder aux locataires. Il est un principe établi que la preuve du dommage, de la perte de services, repose sur le locataire qui doit l’établir. Il revenait donc aux locataires et à la mandataire d’en faire la démonstration. «Pour donner ouverture à une diminution de loyer, il faut que la perte de jouissance soit réelle, sérieuse, significative et substantielle. [13]» Fait à souligner, l’exploitant (Les Jardins de Renoir) n’a pas invoqué la force majeure à titre de moyen de défense [14].

Chacun des reproches portant sur la fermeture ou la diminution de services a été analysé (piscine, salle de quilles, etc.). Cet exercice du Tribunal permet de constater l’existence du service ou des services au bail, la durée de l’interruption, la date de la reprise de chaque service, partielle ou non, et les mois pour lesquels il y avait une perte de jouissance justifiant une diminution de loyer. L’appréciation de la preuve revient au Tribunal: «La détermination de la valeur de la perte locative est un exercice qui repose sur plusieurs éléments qui doivent être analysés globalement. [15]» Le juge Morisset rappelle qu’il ne s’agit pas d’un exercice purement mathématique. Il est d’autant plus difficile, comme ce fût le cas en l’espèce, que le locateur «n’est pas en mesure de déterminer lui-même la valeur ou le coût d’un service prévu au bail» [16].

Il y a lieu ici de retenir trois conclusions importantes du Tribunal [17]:

  • La diminution de loyer recherchée peut s’exprimer au moyen d’un montant défini par mois ou globalement en pourcentage;
  • Le fait que le locateur se soit enrichi ou non n’a aucune incidence sur la détermination de la perte de valeur locative;
  • Le montant de la diminution à être accordée peut varier selon le montant du loyer et les dimensions du logement, mais cette preuve doit être faite pour que Tribunal puisse fonder son analyse sur cette caractéristique.

Le Tribunal se consacre à l’analyse de la diminution de chaque service pour chaque mois de la demande, pour chaque service mentionné. Il conclut à une perte locative et octroie une diminution de loyer en fonction de chaque locataire faisant partie de la demande conjointe, à partir de la date de la mise en demeure.

Conclusion

Cette décision du TAL permet de souhaiter que les demandes conjointes pendantes devant le TAL soient traitées de manière similaire, à leur mérite. Il faudra dans chaque cas faire la preuve (1) des fermetures, interruptions et diminutions de chacune des catégories de services inclus à leurs baux, (2) que celles-ci ont emporté une perte de jouissance réelle, sérieuse, significative et substantielle justifiant la diminution de leur loyer, et (3) de la liste des résidents ayant un bail pendant la période visée par la demande conjointe, laquelle est généralement fournie par l’exploitant. Chaque demande conjointe se rattachant à une RPA devrait faire l’objet d’une analyse par le TAL de la perte de services afin de déterminer si la perte alléguée de chacun des services justifie la demande de diminution de loyer. Il s’agit certes d’un travail ardu pour les locataires. Ils peuvent maintenant compter sur cette première décision qui devrait les guider dans leur préparation. Souhaitons aussi que cette décision suscite une réflexion chez les exploitants de l’industrie du logement des aînés et qu’elle entraîne des changements favorisant le bien-être des résidentes et résidents.

 


[1] Légaré c. Jardins le Renoir, (2022) QCTAL 31199, http://t.soquij.ca/n6S3Q

[2] Ibid., par. 16

[3] Ibid., par. 70

[4] Ibid., par. 71

[5] Ibid., par. 35

[6] Ibid., par. 43

[7] Ibid., par. 44

[8] Ibid., par. 59

[9] Ibid., par. 64

[10] Ibid., par. 67

[11] Ibid., par. 76

[12]Ibid., par. 84

[13] Ibid., par. 93-94

[14] Ibid., par. 102

[15] Ibid., par. 247

[16] Ibid., par. 251

[17] Ibid., par. 254-256